Timur Soykan, l’inquiétant journaliste d’investigation turc – .

LETTRE D’ISTANBUL

Timur Soykan exerce son métier de la manière la plus noble qui soit : dérangeante. Journaliste indépendant du quotidien BirGün, il a passé ces dernières années à se spécialiser dans les réseaux mafieux et le crime organisé. Dans un pays où l’exercice du métier est de plus en plus corseté par un arsenal juridique impressionnant, recueillir et mettre au jour les témoignages et les pratiques d’hommes de l’ombre sur la question sensible de la traite relève du défi.

Avec sa silhouette élancée et élégante – et un visage tout en angles –, dressé sur les plateaux des émissions de télévision, il y a chez ce journaliste d’investigation Don Quichotte. Ses investigations provoquent et bousculent, elles sont à son image, sans artifices ni détours de style. C’est lui qui a révélé l’emprise croissante des groupes criminels étrangers en Turquie. Il a documenté la violence des mafias caucasiennes établies ces dix dernières années, mis le doigt sur la façon dont les Balkans sont devenus l’arrière-cour de la mafia turque, comment aussi les réseaux de la pègre se sont restructurés.

Timur Soykan a écrit sur les affrontements entre clans azerbaïdjanais, gangs serbo-monténégrins, réseaux ‘Ndrangheta calabrais. Le trafic de cocaïne, d’héroïne aussi, et les possibilités de blanchiment d’argent que recèle la Turquie.

Il a décrit les réseaux de corruption jusqu’aux plus hautes autorités du pays. Il en a même fait un livre, une sorte de roman d’investigation, intitulé Baronlar Savasi (« La guerre des barons », Kirmizikedi, 2020, non traduit), basé sur des faits réels. Écrit à partir de témoignages, de documents judiciaires et d’entretiens, le livre met en lumière les relations incestueuses que l’État entretient avec les gangs mafieux, un problème récurrent en Turquie, faisant que ce pays “le Mexique de l’Europe”souligne l’auteur.

bombe politique

Début décembre 2022, il est à l’origine de l’affaire qui secoue encore aujourd’hui le pays. Deux articles, publiés coup sur coup, révèlent le mariage forcé signalé d’un enfant de 6 ans. Fille du chef de la fondation religieuse Hiranur Vakfi, rattachée à la puissante confrérie Ismailaga, elle accuse son père de l’avoir mariée religieusement dans son enfance à un disciple de 29 ans, au début des années 2000. Au journaliste, elle explique avoir subi depuis lors des abus sexuels.

A quelques mois d’élections cruciales, l’histoire fait l’effet d’une bombe politique. Elle jette une lumière crue sur l’inquiétante impunité des confréries, et relance le débat sur la protection dont bénéficient les milieux religieux proches du pouvoir. Timur Soykan a été accusé d’insulte à l’Islam. Il a fait l’objet de lynchages sur les réseaux sociaux, certains évoquant une manipulation de l’âge de la jeune fille. Mais les faits sont têtus. L’enquêteur a même enfoncé le clou avec un troisième morceau de papier tout aussi dérangeant.

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