« Être parrain d’une association de protection de l’enfance, c’est un engagement, des valeurs, du sérieux. Ce n’est pas donner écho aux porteurs de thèses complotistes qui servent la cause. Cyril Hanouna ne fait plus partie de nos parrains. Merci pour le chemin parcouru ensemble”,
sur Twitter, Laurent Boyet, président de l’association de lutte contre les violences faites aux enfants Les Papillons.Être parrain d'une association de protection de l'enfance, c'est un engagement, des valeurs, du sérieux. Ce n'est pas donner écho aux porteurs de théories complotistes qui desservent la cause. @Cyrilhanouna n'est plus un de nos parrains. Merci pour le chemin fait ensemble.@TPMP pic.twitter.com/0Clod2tLD9
— Laurent Boyet (@assopapillons) March 14, 2023
Cette annonce de séparation fait suite aux déclarations de l’ancien trafiquant de drogue Gérard Fauré et de la chroniqueuse Myriam Palomba, le 9 mars, sur le plateau de “Touche pas à mon poste”. Interrogé sur les addictions de l’humoriste Pierre Palmade, M. Fauré avait évoqué “peut-être une histoire d’adrénochrome”.
Cette molécule, issue de l’oxydation de l’adrénaline, une hormone synthétisée par le corps humain, est présentée dans la complosphère comme un puissant élixir psychotrope et anti-âge. Myriam Palomba a ensuite expliqué que les amateurs d’adrénochrome se livraient à “sacrifice d’enfants” pour en obtenir, sans que Cyril Hanouna ne réagisse à ces affirmations.
Disparitions massives d’enfants, trafic sexuel de mineurs, sacrifices rituels… D’innombrables récits circulent, notamment dans les milieux complotistes, autour de ce que l’ethnologue des rumeurs Véronique Campion-Vincent décrit comme la figure de “enfant-proie”.
Des rumeurs nommant des adversaires politiques
La pédocriminalité est une réalité : la base de données d’Interpol répertorie 14 500 pédocriminels et 32 700 mineurs victimes d’exploitation sexuelle, à travers 68 pays. Mais le complot le détourne, évoquant de puissants réseaux de haut niveau qui exploitent des millions d’enfants kidnappés.
Les partisans du mouvement complotiste américain QAnon sont convaincus de l’existence d’un réseau mondial de trafic sexuel dirigé par « élites pédosatanistes », comme les milliardaires Bill Gates et George Soros ou l’ancienne candidate démocrate à l’élection présidentielle américaine Hillary Clinton. Le thème est apparu en 2016 avec “Pizzagate”, une rumeur selon laquelle une pizzeria de Washington abriterait un réseau pédophile impliquant des dirigeants démocrates. En avril 2020, en pleine épidémie de Covid-19, une autre histoire émerge : la supposée découverte de 100 000 enfants et cadavres dans un tunnel reliant la Fondation Clinton au port de New York. Fin 2021, c’est au tour du candidat démocrate à la présidentielle, Joe Biden, d’être accusé de penchants pédophiles par les partisans de son rival républicain, Donald Trump.
Les Français adeptes de ces thèses ont trouvé un ambassadeur en la personne de l’ancien animateur Karl Zéro, auteur en 2022 du documentaire 1 sur 5un titre qui fait référence à la proportion estimée de mineurs victimes d’agressions sexuelles en France. “Ça a le mérite de poser les vraies questions, de mettre en lumière ce dont on ne parle pas”insiste Laurent Boyet, tout en prenant ses distances avec Karl Zéro lorsqu’il reprend plusieurs surinterprétations typiques des théories du complot, fondées sur“Cérémonies étranges” et des organisations secrètes fantasmées. “Il en faudrait peu pour qu’il bascule du mauvais côté”prévient le président de l’association Les Papillons.
Ces rumeurs luttent moins contre la pédocriminalité que contre des adversaires désignés. “Si on considère que comploter, c’est diaboliser un ennemi, on ne peut pas juste dire que Macron ou Biden sont mauvais, il faut fabriquer une forme de turpitude extrême”analyse Sebastian Dieguez, chercheur au Laboratoire des sciences cognitives et neurologiques de l’Université de Fribourg et auteur de Croire. Pourquoi la croyance n’est pas ce que nous croyons (Éditions Eliott, 2022).
Des accusations alimentées par divers faits
Ces accusations ont longtemps été l’apanage de la littérature antisémite. L’idée des sacrifices rituels des enfants chrétiens apparaît au XIIee siècle en Angleterre. Indestructible, la légende provoquera des pogroms meurtriers en Pologne après la Seconde Guerre mondiale. « Les Juifs ont été particulièrement ciblés par les histoires d’enfants saignés. Mais on retrouve le mythe de l’innocent sacrifié absolument partout., se souvient Véronique Campion-Vincent. Des rumeurs similaires visaient, par exemple, les chrétiens de l’Empire romain.
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Avantage
Dans l’imaginaire contemporain, ces accusations se nourrissent avant tout de faits divers. En Europe, ils se nourrissent du souvenir de l’affaire Dutroux, qui a révélé les carences de la justice et de la société dans la lutte contre la pédocriminalité. Aux États-Unis, pays d’origine de QAnon, elles remontent aux années 1980, et à des cas très médiatisés d’enfants disparus mêlés à une vague de rumeurs de rituels sataniques dans les crèches. Reste l’idée que des millions d’enfants américains sont kidnappés chaque année (en réalité une cinquantaine) et des mineurs exploités dans des cérémonies occultes.
La conspiration contemporaine en a fait un élément central, allant jusqu’à inventer le concept d’« enfant-taupe », qu’il faudrait libérer des lieux souterrains où ils seraient détenus en masse. La moindre nouvelle, qu’il s’agisse de l’éruption spectaculaire d’un volcan ou du blocage du canal de Suez par le cargo Toujours donnéen 2021, est réinterprété comme une tentative de libération de ces enfants prisonniers. “On est passé d’un extrême à l’autre, du déni à l’obsession”, résume Véronique Campion-Vincent. Jusqu’au grotesque : en juillet 2021, des milliers de QAnons ont accusé le vendeur de meubles en ligne américain WayFair de vendre des esclaves sexuelles mineures dans des armoires.
Un parasitisme des associations
Les récits de conspirations pédophiles, aussi sordides qu’addictifs, ont de nombreux intérêts, note Sebastian Dieguez, notamment celui de féminiser la communauté, tout en permettant à ses followers de se voir en héros à peu de frais. Dans le QAnon imaginaire, où le président Donald Trump aurait mis en place une Pentagon Pedophile Task Force, les conspirateurs se présentent comme “soldats numériques” investi d’une mission de justice.
C’est ce que les associations reprochent au discours complotiste. D’une part, il cherche à capter l’attention : le chercheur canadien Marc-André Argentino a identifié “114 groupes qui se présentent comme luttant contre la traite des enfants mais qui sont en fait dominés par les contenus QAnon”. Selon ses calculs, entre juillet et fin septembre 2020, le nombre de membres de ces groupes en ligne a été multiplié par trente. En 2021, ils avaient réussi à s’approprier le hashtag “Save the Children” (“Save the children”). L’association du même nom avait déploré la ” confusion ” engendré.
De l’autre, les théories du complot renvoient une image caricaturale et déformée de la pédocriminalité. Loin des théories fantasmées d’un réseau sophistiqué aux mains d’un cartel de puissants dirigeants pédo-sanitaires, dans l’écrasante majorité des cas (94%), les auteurs d’agressions sexuelles font partie de l’entourage familial de la victime. Dans un quart des situations, ils sont eux-mêmes mineurs. Enfin, tous les milieux sociaux sont concernés.
De ce point de vue, l’imaginaire QAnon attire l’attention sur un problème autant qu’il détourne de sa réalité. “Jamais une seule victime ne m’a dit avoir été victime dans le cadre de cérémoniesinsiste Laurent Boyet. jesont la vraie violence est dans la famille ou dans le monde du sport. Peut-être y a-t-il de vrais réseaux satanistes, je ne sais pas. Mais je sais où il y a de la vraie violence. »
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Tags: sphère complotiste alliée gênante dans lutte contre délinquance enfantine