17/05/2023 – CANNES 2023 : Cédric Kahn signe une fascinante œuvre de chambre dépouillée de tout artifice qui reflète une époque, autour de la personnalité complexe de Pierre Goldman
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“Vous risquez votre tête.” Nous sommes fin avril 1976, et dans les coulisses de la cour d’assises de la Somme à Amiens, un avocat s’indigne du manque de discipline de son client, qui lui répond qu’il n’a pas besoin d’avocat pour prouver sa propre innocence puisque le fait est « ontologique », sens de l’essence, et n’a donc rien à voir avec les apparences ou avec ses propres vues particulières.
Ceux d’entre nous qui ne sont pas philosophes peuvent cependant se rassurer (même si ce détail est assez significatif) : L’affaire Goldman par Cédric Kahn, qui a magnifiquement ouvert la 55e édition de la Quinzaine des Réalisateurs (dans le cadre du 76e Festival de Cannes), n’est pas une œuvre intellectuelle, mais un film d’essai tendu et captivant qui défait les faits dans l’atmosphère électrique de son espace clos. En effet, la personnalité intensément contradictoire de Pierre Goldman, ainsi que son parcours de révolutionnaire devenu brigand, étaient à l’époque la Source d’une intense fascination tant pour ses admirateurs que pour ses détracteurs, à une époque où les affrontements idéologiques suscitaient de vives passions. De ces événements réels, le réalisateur extrait leur pure substance, ne s’écartant jamais de la bataille judiciaire qui se déroule – une bataille très personnelle, mais qui résonne hors cadre, hors de la salle d’audience, à travers des sujets qui ont déferlé tout au long des années 1970, comme aujourd’hui : préjugés, racisme, méthodes policières, extrême gauche, etc.
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“Je suis innocent parce que je suis innocent.” Défendre Pierre Goldman (l’excellent Arieh Worthalter) n’est pas une mince affaire pour Georges Kiejman (le très bon Arthur Harari, presque méconnaissable). Son client tente même de le virer quelques jours seulement avant le procès, le qualifiant dans une lettre de « juif de fauteuil », entre autres subtilités. Pourtant, finalement convaincu par les arguments de ses assistants (qui voient en Goldman « un frère juif traité comme un bouc émissaire »), Kiejman ne baisse pas les bras, et déclare dans le prologue du film qu’il se concentrera toutefois uniquement sur les faits. Celles-ci sont claires : l’accusé a reconnu trois vols à main armée, mais nie être responsable d’un quatrième, qui a eu lieu dans une pharmacie du boulevard Richard Lenoir à Paris en décembre 1969, et a fait deux morts ainsi que deux blessés. Ces dénégations n’ont pas convaincu la justice lors de son premier procès, fin 1974, lorsqu’il a été condamné à la prison à vie.
S’ensuit un regard sur la vie tourmentée de Goldman, qui refuse par principe d’amener à la barre des témoins de caractère susceptibles de défendre sa moralité. Il est interrogé par le président (Stéphane Guérin-Tillie), son père témoigne, ainsi que sa compagne d’origine guadeloupéenne, la psychologue en charge de l’affaire, six témoins du braquage, deux commissaires de police, son ancien chef de la guérilla révolutionnaire du Venezuela, et l’homme qui lui a donné son alibi. Réquisitions, plaidoiries, verdict : le dossier est analysé dans ses moindres détails et de diverses manières, au gré des stratégies de duel de la défense et de l’avocat général (Nicolas Briançon). Le tout est entrecoupé de trois ajournements et de multiples explosions émotionnelles de Goldman (« gangster : oui. Assassin : non », « moi aussi je suis noir », « c’est un complot policier avec un coupable idéal », « tous les témoins sont racistes ») qui est bruyamment acclamé par ses partisans et gardé calme, autant que possible, par ses avocats.
Mêlant portrait d’homme et procédural, Cédric Kahn façonne un film très tranchant, celui qui explore en gros plan la frontière floue entre fantasme et mémoire, mythes héroïques et réalité des institutions, poids du passé et des apparences. Un long métrage compact et épuré à la fois chaud et froid, se déroulant à un rythme soutenu et en ligne droite à partir d’un excellent scénario sans fioritures (écrit par le réalisateur avec Nathalie Hertzberg), et apportant à son casting parfait l’attention nécessaire pour créer un film d’une qualité vraiment supérieure.
Produit par Moonshaker et coproduit par Trop de bonheur Productions, L’affaire Goldman est vendu à l’international par Charades.
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