Dans les coulisses du lait vendu « au juste prix » – .

Dans les coulisses du lait vendu « au juste prix » – .
Dans les coulisses du lait vendu « au juste prix » – .

C’est l’abondance. Dans les rayons des grandes surfaces, on ne compte plus les bouteilles de lait promettant un prix rémunérateur aux producteurs : “C’est qui le patron”, “Live des éleveurs”, “Juste et vendéen”, “Agri Confiance”, “Bio équitable” , “Agri éthique”, etc. Ces marques, ces labels et ces certifications traduisent – et c’est une bonne nouvelle – le besoin du consommateur de s’assurer que son argent va au bon endroit, c’est-à-dire dans la poche de l’éleveur. Ces laits « engagés » représentaient en 2021 pas loin de 15 % des ventes. Mais ils posent beaucoup de questions. Que promettent-ils exactement ? Qu’entend-on par rémunération « équitable » ? Surtout, cela permet-il vraiment aux éleveurs de vivre décemment de leur travail ?

Tout d’abord, un constat : seuls 9,6 % des 23,5 milliards de litres de lait collectés en France finissent dans le lait de consommation. Le reste est soit exporté, soit utilisé par l’industrie agro-alimentaire pour fabriquer des produits laitiers, biscuits et autres produits transformés (pour lesquels elle ne paiera pas forcément son juste prix). Autrement dit, ces « laits responsables » sont une goutte d’eau dans la rémunération des éleveurs laitiers. « Nous donnons bonne conscience aux consommateurs, estime Philippe Goetzman, expert en biens de consommation, mais ce juste prix n’est qu’un écran de fumée qui évite de traiter du vrai sujet : la compétitivité du secteur. Toute la chaîne de production esquive la réalité. »

Ensuite, en achetant ces bouteilles de lait certifiant une juste rémunération, le consommateur peut penser que l’intégralité de la prime revient aux éleveurs. C’est le cas lorsque le lait est vendu en circuit court, comme le lait « Direct des éleveurs » produit, collecté et mis en bouteille par les éleveurs eux-mêmes. Mais dans la grande majorité des cas, le gain est réparti sur l’ensemble du secteur. Pire, certains dans la chaîne de valeur en profitent même pour faire plus de marges… « Pour le lait Qui est le patron, par exemple, la laiterie et la grande distribution prennent des marges plus élevées qu’avec des briques de laits conventionnels », explique l’agroéconomiste Jean- Marie Séronie. Et c’est sans compter les 5% du prix de vente déduits, à rémunérer, par la société « C’est qui le patron ».

« Un outil de communication pour notre secteur »

Il convient également de s’interroger sur cette notion de « juste » rémunération, qui est en fait assez subjective. Il est communément admis qu’elle est censée couvrir les coûts de production de l’éleveur (matières premières, main d’œuvre, amortissement du matériel, etc.) et comporter un revenu lui permettant de vivre dignement de son travail. La filière est donc basée sur un coût de production moyen. ” Ça n’a aucun sens. En France, les coûts de production des élevages laitiers peuvent varier du simple au double selon les exploitations », souligne Jean-Marie Séronie. Un écueil que Max Haavelar prend soin d’éviter grâce à une approche territorialisée du juste prix. “On tient compte de la vulnérabilité des territoires pour fixer un prix minimum”, décrypte Blaise Desbordes, le directeur général de l’ONG en France qui a lancé une filière équitable du lait en France il y a un peu moins de deux ans. années.

Certaines étapes peuvent être mal comprises. Si vous achetez du lait « Juste et Vendéen », vous pourriez penser que les éleveurs vendéens en profitent pleinement, sur l’ensemble de leur production. En effet, la marque lancée en 2018 propose bien aux consommateurs du lait local au « juste prix », mais la démarche ne porte que sur 1,5 million de litres de lait, soit seulement 2 % de la production laitière vendéenne ! « En réalité, c’est un outil de communication pour notre secteur, convient Guillaume Voineau, son porte-parole. Notre approche vise à démontrer qu’il est possible de rémunérer les producteurs au juste prix. La valeur ajoutée générée par le procédé est ensuite redistribuée aux 120 éleveurs qui ont vendu une partie de leur lait sous la marque. « Seuls ces ambassadeurs en bénéficient, et encore, les petites sommes qu’ils en retirent compensent, en quelque sorte, le travail qu’ils font sur le terrain, notamment dans les magasins, pour faire de l’éducation. Une demi-mesure pour Ludovic Brindejonc, du label « Ethical Agri » : « Plus le volume acheté au juste prix à l’agriculteur est important, mieux on peut amortir les aléas du marché sur le reste de sa production et ainsi mieux protéger Le secteur. »

Il y a de la nourriture et des boissons dans ces étiquettes

Car le principe de ces laits équitables est d’inscrire les agriculteurs dans une démarche de progrès. “L’objectif est de redonner de l’autonomie aux producteurs pour qu’ils transforment leur modèle”, poursuit Ludovic Brindejonc. D’une certaine manière, le juste prix, c’est aussi aider les agriculteurs à gérer leurs exploitations de manière durable. C’est pourquoi certains labels prévoient, en plus d’un prix rémunérateur, un complément pour financer la transition écologique. C’est le cas du label “Bio commerce équitable”, dont les normes sont intégralement consultables en ligne. Mais aussi Omie & Cie, l’enseigne qui vend des produits d’épicerie durables en circuit court, et qui reverse 1% de son chiffre d’affaires pour accompagner les agriculteurs dans leur transition vers une agriculture régénérative. Dans le même esprit, Max Havelaar collecte une prime collective dédiée à des projets sociaux ou agro-écologiques.

Comme on peut le voir, il y a de quoi boire et manger dans ces allégations de plus en plus nombreuses. Estelle Dubreuil, coordinatrice du mouvement citoyen FAIRe, regrette que l’Etat ne s’engage pas plus que cela en les réglementant. D’autant que demain, il faudra étendre la démarche à d’autres filières fortement disputées en termes de prix, comme la viande. C’est le pari de Lidl qui a décidé de saisir le Remunerascore (de A, pour un prix basé sur le coût de production, à F correspondant au prix moyen du marché) pour rémunérer les éleveurs bovins au juste prix. « Le processus est plus complexe que dans le lait car il y a plus d’intermédiaires. Mais cela s’inscrit dans la logique de nos contrats tripartites », a déclaré Michel Biero, directeur des achats de Lidl en France.

A terme, il faudra aussi inciter les restaurateurs à valoriser une juste rémunération de leurs fournisseurs vis-à-vis de leurs clients. « Il n’y a aucune raison pour que le consommateur n’ait pas les mêmes exigences au supermarché qu’au restaurant. C’est en généralisant ce type de pratique vertueuse qu’on aura une chance de voir un point de bascule s’opérer », explique David Garbous, membre du collectif En Vérité. Et que la juste rémunération des producteurs deviendra la norme.

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Balises : scènes lait vendu prix

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